Jeudi 30 juin 2022, s'est tenue à guichet fermé au sein de La Tour Incity de La Caisse d'Epargne Rhône-Alpes, une soirée dédiée aux enjeux de la finance décentralisée. Mathieu Charret et Roméo Poncet-Labouche co-fondateurs de Mon Livret C ont introduit cette soirée avec une keynote intitulé "Décentralisation et inclusion : le nouveau paradigme".
Cette présentation est un moyen pour les deux fondateurs de revenir sur la philosophie et les valeurs qui se cachent derrière le terme "décentralisation". Après avoir défini la finance décentralisée telle qu'on pourrait l'expliquer à notre grand-mère, les deux jeunes dirigeants sont revenus sur l'origine de la cryptographie, des monnaies numériques, de la blockchain en passant par le bitcoin ou encore les smart contract avec Ethereum.
Que ce soit une contrainte ou un besoin vital, la notion de décentralisation ne laisse pas indifférent. Lorsque que cela touche au domaine de la finance, la décentralisation vient bouleverser la vision de la finance traditionnelle centralisée bien ancrée dans nos quotidiens. D'un autre coté, certains voient cette évolution comme un moyen d'émancipation : "[...]Pour les citoyens du monde confrontés à des institutions corrompues, où la notion de propriété n’existe que dans les films, la Finance Décentralisée n’est pas un doux rêve de geek ou un gadget."
À propos de Mon Livret C :
En démocratisant l’accès à la finance décentralisée et à ses rendements, Mon Livret C souhaite proposer une solution d'investissement alternative aux épargnants, et participer à la création d’un monde financier plus inclusif, plus transparent et plus rentable. Crée par Roméo Poncet-Labouche et Mathieu Charret, la startup Lyonnaise est accompagnée par le HUB612 depuis plus d'un an.
Retransmission :
"À l’origine, lorsqu’il nous a été proposé de tenir une keynote introductive sur le thème de la Finance Décentralisée, Mathieu et moi avions songé à un discours explicatif, résumant en quelques points principaux le fonctionnement et les applications de cet écosystème. Le problème, c’est que l’écosystème en question fait en fait référence à des milliers d’applications, tellement variées qu’il nous faudrait des heures et des heures pour en discuter. Nous n’avons qu’une dizaine de minutes devant nous ce soir, alors je vous propose de faire autrement.
Aujourd’hui, Mathieu et moi allons vous parler d’histoire, un peu, mais surtout de deux notions fondamentales que les apprentis magiciens de la crypto tendent de plus en plus à oublier : les valeurs et la philosophie. Car avant toute chose, ce sont bien celles-ci qui expliquent le développement de la fameuse DeFi, mais aussi des NFT, DAO, dAPPS, et de tous les autres acronymes mystérieux dont vos enfants vous parlent peut-être avec passion à la maison.
Le week-end dernier, au cours d’un dimanche ordinaire passé en famille, j’ai annoncé à ma grand-mère que j’allais intervenir à un événement sur la “Finance Décentralisée”. Au risque de vous surprendre, ma grand-mère ne mine pas (encore) de Bitcoin dans sa cave et ne possède pas non plus de NFT de singe pixelisé à 100k€. Alors forcément, je lui devais quelques explications. J’ai alors sorti de mon chapeau LA définition que j’utilise à chaque fois dans ce type de situation : “Tu vois Mamie, la Finance Décentralisée c’est un peu comme la Finance Traditionnelle, sauf que les euros sont des cryptos, que toutes les transactions se font sur Internet et que le banquier, et bien c’est toi.” Petit silence, ma grand-mère réfléchit quelques instants, puis elle me regarde et me dit : “Tu sais Roméo, si c’est pour que je devienne mon propre banquier, autant jeter directement mon argent par la fenêtre”.
Alors si Roméo vous parle de ça aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour vous raconter sa vie. Mais c’est parce que la vision de sa grand-mère, en réalité, est très révélatrice. Pour elle, qui vit depuis des années dans un pays avec des institutions financières fortes et une monnaie stable, le terme de "décentralisation" renvoie immédiatement à une notion de risque inutile, voire même à une responsabilité angoissante. Pour d’autres, de l’autre côté du globe, ce même mot évoque un levier d'émancipation quasi-providentiel, l’opportunité d’échapper aux frais monstrueux d’intermédiaires trop gourmands, et surtout la possibilité de profiter de services financiers jusqu’alors inaccessibles.
Vous l’aurez compris, chacun, dans cette salle, et ailleurs, perçoit la notion de décentralisation à travers le prisme de ses propres besoins. Pour certains, ce besoin n’est pas, ou n’est pas encore perçu. Pour ces gens-là, la décentralisation est davantage une contrainte qu’un attrait, et les crypto-actifs, construits sur cette notion, se résument à une classe d’actifs volatiles et sans utilité concrète. Pour d’autres, ce besoin est vital, et les applications de la DeFi posent les jalons d’un paradigme financier nouveau, duquel ils peuvent enfin être acteurs.
Avant d’aller plus loin, je vais vous révéler un scoop. La crypto n’est pas une invention sortie du chapeau il y a quelques années. En réalité, la cryptographie date du XVIè siècle avant JC, et pour l’anecdote, avait été utilisée la première fois pour crypter une recette de vase voulue secrète. Sa version informatisée, elle, date de la deuxième guerre mondiale, tandis que la blockchain a vu le jour en 1991 et que les premières monnaies numériques remontent à 1994.
Et là, vous vous demandez : pourquoi diable avons-nous attendu si longtemps pour parler de NFT au dîner ? Accrochez-vous, on y vient. Les crypto-monnaies telles que nous les connaissons aujourd'hui sont le fruit d’une innovation qui s’est construite dans le temps, au fil de nombreuses itérations imparfaites. Cette nouvelle génération d’actifs a pour objectif final la décentralisation, et pour l’atteindre, s’appuie sur 3 piliers :
Un système immuable et transparent de stockage de données : la blockchain ;
Un mécanisme partagé de validation des transactions ;
Et l’anonymat plus ou moins marqué des utilisateurs, mais surtout des fondateurs des applications créées sur ces systèmes.
Vous me direz : mais pourquoi chercher à développer un système décentralisé, puisque c’est justement cette caractéristique qui suscite la panique et l’incompréhension de ma grand-mère ? Et bien car cette même caractéristique explique une grande partie du succès de Bitcoin. Et pour comprendre pourquoi, je vous propose de revenir encore un peu en arrière.
Qui, ici, a déjà entendu parler de la devise e-gold ? Qui connait son histoire ? Son fondateur ? Et bien sachez pourtant, qu’en 2005, e-gold représente $3 milliards de transactions par an et est le principal concurrent de Paypal. Cette aventure commença quelques années plus tôt, en 1994, lorsque Douglas Jackson, le fondateur d’e-gold, tombe sur un livre qui va bouleverser sa vie : “La route de la servitude” de Friedrich Hayek. Monsieur Hayek n’est autre que le père d’une pensée économique libérale appelée “l’école autrichienne.” Il défend notamment la thèse selon laquelle la monnaie ne doit pas être régulée par un petit nombre d’individus et plus important encore, elle doit être rare afin de conserver sa valeur dans le temps.
Matrixé par cet ouvrage, l’ami Douglas développe un système de paiement nouveau, basé sur une monnaie qui a prouvé sa rareté : l’or. De plus, afin de respecter la vie privée de ses utilisateurs, il y ajoute une couche d’anonymat. Malheureusement, et vous vous en doutez sûrement, cette deuxième caractéristique attira des utilisateurs mal intentionnés. Mais Douglas étant un homme de valeurs, il veille à ce que son invention ne soit pas détournée à des fins malhonnêtes. Pendant 5 ans, il va collaborer étroitement avec les autorités américaines et obtiendra notamment les autorisations nécessaires pour faire circuler sa monnaie sur le territoire américain.
Mais le 11 septembre 2001, sa chance tourne. Les États-Unis adoptent le Patriot Act et n’ont plus qu’un seul objectif : éradiquer le terrorisme et donc, ses moyens de financement. C’est à ce moment-là que le fonctionnement atypique d’e-gold devient un problème. En 2005, après un long combat judiciaire, Douglas est arrêté et les 3,6 tonnes d’or de la société sont saisies. Certains diront que les États-Unis craignaient une certaine perte de souveraineté monétaire, d’autres diront qu’e-gold représentait une réelle menace réglementaire, mais peu importe finalement. e-gold était un projet innovant et bien conduit mais il avait une faille : sa centralisation. Il appartenait à une société immatriculée, dirigée par un groupe d’individus identifiés, s’appuyant sur des réserves d’or localisées. En se construisant ainsi, e-gold a finalement bafoué sa principale raison d’être, qui était de ne pas placer le pouvoir monétaire dans les mains d’un petit groupe d’acteurs, dépendant de ses propres décisions comme de celles du régulateur. e-gold était mort, mais de son échec allaient s’inspirer de nouveaux projets, plus ambitieux encore.
Car quelques années plus tard, en plein coeur de la crise financière de 2008, un mystérieux développeur connu sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto envoie à quelques collègues cryptographes un dossier de 9 pages : “Bitcoin : un système de monnaie électronique en pair à pair”. Celui-ci prône la création d’un système financier nouveau, basé sur une monnaie électronique fonctionnant en pair à pair, sans tiers de confiance. La quantité maximale de jetons est limitée et fixée à un nombre bien défini : 21 millions d'unités. L’émission monétaire devient l’affaire de tous, chaque individu pouvant participer à la création de jetons en sécurisant les transactions du réseau. Les participants sont identifiés par des pseudonymes, et surtout, ne dépendent d'aucune entité centralisant la gouvernance, l’émission des fonds ou leur possession. Chacun devient l’unique maître de son argent. Les transactions se font quasi-instantanément, et à des frais minimes. C’est une première révolution.
La deuxième arrive quelques années plus tard, en 2015, par l’intermédiaire d’un petit génie de 21 ans. Avec Ethereum, Vitalik Buterin démocratise alors la notion de contrats intelligents, ou smart contracts en anglais, qui sont des programmes informatiques irrévocables exécutant des clauses contractuelles prédéfinies, et ce de façon automatique. La blockchain devient alors un gigantesque ordinateur décentralisé, sur lequel des milliers d’applications peuvent être développées. À l’aide d'une simple connexion internet, n'importe qui peut désormais accéder à des services financiers de base, en quelques secondes et à moindre coût : c’est l’avènement de ce qu’on appellera par la suite, la Finance Décentralisée.
Depuis, celle-ci progresse à pas de géants et est responsable d’une grande partie du jargon incompréhensible que les médias utilisent souvent maladroitement. Les wallets, ces portefeuilles physiques ou numériques, qui vous donnent l’opportunité de conserver vous même vos actifs. Aucun gouvernement, aucun juge, aucune tierce-partie ne peut mettre la main sur vos fonds ou vous forcer à les déplacer. Vous les possédez vraiment, pouvez les retirer à tout moment comme les envoyer où bon vous semble. Les dAPPs, pour Decentralized Applications, ces plateformes d’épargne, d'échange ou d’assurance, qui vous offrent le cadre nécessaire pour réaliser des transactions, faire fructifier vos fonds ou même accéder à un crédit. Les DAO, ces organisations autonomes et décentralisées permettant un mode de gouvernance communautaire, dans lequel chaque participant peut voter et s’exprimer. Les fameux NFT, bien sûr, ces certificats de propriété numérique immuables, consultables par tous, qui permettent notamment de transposer la valeur d’un bien réel sur la blockchain. Vous avez obtenu un diplôme ? Il est consultable en ligne par votre futur employeur : plus de mensonges sur les CV. Vous avez acheté un sac Channel ? Sa ligne de production est traçable depuis l’usine jusqu’à la vente : finies les contrefaçons. Vous voulez investir dans un mètre carré d’un appartement place des Jacobins ? Ça aussi c’est possible, fini les endettements à vie pour devenir propriétaire de sa première brique.
Alors non, cette nouvelle finance ne se destine pas forcément à ma grand-mère, vous l’aurez compris. Non pas parce qu’elle ne lui serait pas utile, mais parce que sa complexité l’en éloigne, et que ses bénéfices, surtout, ne lui sont pas vitaux. Mais voilà, pour les citoyens du monde confrontés à des institutions corrompues, où la notion de propriété n’existe que dans les films, la Finance Décentralisée n’est pas un doux rêve de geek ou un gadget, c’est un besoin. Pour les 1,7 milliards d’individus qui ne possèdent pas de compte bancaire et doivent cacher leurs billets sous le matelas, c’est un besoin. Pour les 230 millions d’expatriés qui sacrifient Chaque mois des frais faramineux à Western Union, simplement pour envoyer des fonds dans leur pays d’origine, c’est un besoin. Pour certains citoyens canadiens, qui se voient refuser l’accès à leur compte bancaire à cause de leurs opinions politiques, pour les vénézuéliens, les libanais ou les argentins, qui doivent composer avec une monnaie rongée par une inflation à 3 chiffres, pour les femmes afghanes, à qui l’on prive jusqu’à la gestion de leur propre argent, oui, c’est un besoin.
Alors si ce soir, en rentrant chez vous, votre famille vous demande où vous étiez et que vous vous aventurez à leur expliquer ce que signifie le mot DeFi… Parlez leur de valeurs, d’abord, de philosophie, mais surtout, surtout… pensez décentralisé !"